La sociologie comme mémoire de la vie sociale, aborde cette dualité ou antinomie perçue1 entre les mémoires vécues et les formes institutionnalisées de la mémoire. Que feront les nouvelles générations,2, nées au tournant des années 1980, avec les valeurs du passé ? Peut-on encore espérer une attention à la mémoire de l’expérience construite autour du temps long, de l’engagement, de la loyauté, du sacrifice ? La mémoire de la génération née entre 1925-1944 nous rappelle les bienfaits de l’effort, du sentiment d’appartenance, de la participation collective. Il nous faudra saisir les prolongements possibles du processus de coexistence des perspectives entre les valeurs du passé et les valeurs du présent.
Les nouvelles générations aspirent à toujours plus d’autonomie et de temps libre. Elles réclament le pouvoir de s’exprimer tout en conservant un sentiment d’identité individuelle. À l’heure actuelle, la société ne nous révèle peut-être que ses aspects les moins attirants (facilité, permissivité, instabilité).
Cette oscillation entre le présent et le passé dans l’activité réflexive de la remémoration permet d’avoir une perception plus juste de la constitution du social à la fois faite de contraintes, de limites et de possibilités à l’échelle individuelle.
La mémoire est nécessaire à l’interaction sociale : comment agir sans une représentation des êtres et des choses ? Comment concevoir une représentation des êtres et des choses hors du langage, de l’espace et du temps ?
Ce qui rompt la continuité de ma conscience individuelle, c’est l’action qu’exerce sur moi, du dehors, une autre conscience, soit la présence d’une personne qui croise mon chemin et qui m’impose une représentation et m’oblige à remarquer sa présence. De nos jours, le temps consacré aux écrans de verre laisse présumer que si je reste enfermé avec moi-même, il y a de fortes possibilités que je ne connaisse rien du monde extérieur.
La conscience individuelle est le point de rencontre des temps collectifs (Maurice Halbwachs, sociologue français, 1939). Des années 1990 à aujourd’hui, les temps collectifs furent plutôt rares. Nombreux sont ceux qui manifestèrent un malaise face au désengagement envers la communauté et l’isolement des personnes âgées, au manque de considération envers les institutions, à l’affaiblissement de la politesse et des bonnes manières ainsi qu’au peu de temps passé en famille. Que faut-il en conclure ? Il en ressort des nuances importantes. Constater l’oubli d’un groupe n’est possible que si on a conservé le souvenir d’un autre groupe social.
Les souvenirs deviennent moins accessibles avec le passage du temps ou, pour le dire simplement, on retient davantage les événements récents. Les nouvelles générations nées après les années 1980 ont raison de manifester leur mécontentement face au progrès matériel – la soif du confort – véhiculé au cours des trois premières décennies d’après-guerres « Les Trente Glorieuses » (1945-1975). Les jeunes, qui ont mis tout leur espoir dans un monde plus égalitaire et plus inclusif, sont grandement déçus.
Les générations vivent au rythme du temps. Exister, être utile à quelqu’un, permet d’avoir conscience de sa valeur et est source d’estime de soi pour toutes les générations.
Aujourd’hui, nous faisons face à une réalité dans laquelle les nouvelles générations sont contraintes de s’adapter à un monde où elles sont condamnées à plaire. Mettre du sens dans sa vie et le monde des apparences sont-ils inconciliables avec l’idée du bonheur humain ?
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1Plusieurs travaux de Fernand Dumont (1927-1997), sociologue de la culture, font état de cette « double antinomie » entre mémoires vécues et mémoires institutionnalisées.
2Définition de la notion de génération : Il faut d’abord distinguer les effets de période qui résultent de l’influence du contexte, à un moment donné, sur l’ensemble de la population, tous âges confondus. Les effets de génération, ou effets de cohorte, procèdent de l’empreinte laissée par le fait d’appartenir à un groupe d’individus nés au même moment, ou ayant vécu un même événement fondateur d’une reconnaissance collective. (Annick Percheron, sociologue française, 1988)